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#03 L'Innovation frugale, un changement de paradigme ?

Dans le précèdent article #2, nous avons illustré des cas pratiques d'innovations considérées comme frugales et ce en utilisant une classification. Néanmoins, malgré ces exemples plus ou moins emblématiques, l’Innovation Frugale semble souffrir d'une réalité terrain ; à telle enseigne que certains auteurs comme Mokter Hossain, se sont intéressés à étudier les publications existantes sur ce thème.

Leur principal constat est le suivant:

  1. L’Innovation Frugale recouvre de nombreuses définitions incluant des approches aussi variées que le « Low Cost », le « good enough product, service ou Business model », le « reverse engineering », le BOPBase of the pyramid »),… Dans ces mêmes cas, l'usage des méthodologies ne sont pas développées ce qui ne permet une analyse fine des intérêts et limites.

  2. Elles traitent d’un grand nombre de disciplines tout en étant principalement centrées sur les innovations technologiques avec des papiers en général assez conceptuels, sans analyse de fond ni analyse des changements de Business Model induits par exemple.

  3. Les publications sont majoritairement issues des pays en voie de développement (Inde , Chine).

L'Innovation Frugale pourrait laisser circonspect du fait de sa diversité et du manque d'approche méthodologique

Ainsi d’un point de vue académique, force est de constater que l’application des principes de l’innovation frugale sont loin d’être bien documentés laissant l’innovation frugale dans un flou.

Les causes en sont variées et parfois spécifiques à un secteur mais globalement on peut citer 3 causes racines :

  1. Une méconnaissance de l’innovation frugale par les acteurs de l’innovation eux-mêmes comme l’a constaté HBR à la suite d’une enquête réalisée en 2015 par OpinionWay auprès de Directeurs de l’Innovation où ils concluent que les « méthodes d’innovation pourtant largement reconnues comme la méthode C/K ou l’innovation Jugaad sont encore ignorées par 48 % et 37 % des Directeurs Innovation » !

  2. Une méconnaissance des sous-jacents pour ne pas dire une dévalorisation du terme « frugal » en faisant notamment le lien un peu trop rapide entre Frugal = low cost = Low quality ?

  3. Un manque de cadre méthodologique et d’outils qui pourraient aider les entreprises à déployer à l’image d’autres approches comme l’agilité, le design thinking, le lean …

Pourquoi et comment une entreprise guidée par son business model dominant s’engagerait-elle dans le parcours presque initiatique de l'innovation Frugale?

Une hypothèse est de penser que face aux grands principes de l’Innovation Frugale et en l’absence d’instances / cadre / méthodes / KPI bien identifiés, les entreprises ne se retrouvent pas dans cette terminologie et ne savent comment aborder le sujet. Comment s'en étonner alors que l'IF est fortement inspirée du Jugaad, qui, dans l’esprit Hindi, est très proche de principes de vie quasi philosophiques ?

En ne proposant finalement qu’un cadre de réflexion, voire un cadre culturel, comment une entreprise guidée par son business model dominant s’engagerait-elle dans ce parcours presque initiatique ? Avec quelle motivation et avec quel levier ?


Pour y répondre, il nous faut faire un pas de côté et s’intéresser à la prise de conscience actuelle sur l’anthropocène et son impact sur le DD et notre vie.

L'accélération de cette prise de conscience individuelle et collective poussée notamment par les ODD, la RSE et la loi PACTE issue du rapport Senart-Nota ou des organismes comme l'IFS va provoquer des bouleversements dont nous ne commençons à peine à voir les prémisses. Au delà du "green washing", nombre d'entreprises ont déjà engagé de profondes réflexions mais qu'en est il au niveau individuel ?

De la RSE à la RS2E (Responsabilité Sociale et Entreprises et de ses Employés) ?

Jusqu'alors la responsabilité de mise sur le marché de tel ou tel produit et service était de la seule responsabilité de l'entreprise. Désormais devant l'urgence climatique et sociale nous en devenons co-responsables au sens moral car "Nous sommes à la fois manager, innovateur, citoyen, parent, mari, femme, … » (X.Pavie, C. Jouanny, D. Carthy, et F. Verez , 2015) et « nous apparaissons désormais responsables ou du moins coresponsables d’une action collective dont les développements et les effets nous sont largement inconnus» (François Ost, 2003)

Dans notre nouveau rapport à notre environnement, l’action d’innover nous interroge donc de plus en plus sur la finalité et les conséquences de nos décisions d'une manière élargie soit sur notre responsabilité propre et ce au-delà de celle de la seule entreprise.

Soulignons ici un enjeu lié au sens des mots. En Anglais le mot "responsability" couvre plus clairement des autres notions comme « liability » et « accountability ».

Ainsi, poussés par la réglementation, tirés par une demande plus forte des clients mais aussi des employés, les entreprises ont tout intérêt à s’intéresser et anticiper dès à présent ce changement annoncé. La recherche de cette « symétrie des attentions » entre l'entreprise et son employé devrait donc être un changement majeur pour les entreprises et favoriser ce que l'on pourrait nommer comme de "l’Innovation Responsable" mise en œuvre par des équipes qui le sont tout autant.

L'Innovation Responsable plébiscite un dessein plus compréhensible, plus impliquant et plus ambitieux que l'IF

La définition du champ de l’Innovation Responsable mériterait une analyse académique plus approfondie. A défaut on s’appuiera sur la proposition des chercheurs britanniques Jack Stilgoe, Richard Owen et Phil Macnaghten (lors du séminaire sur l’innovation responsable, juin 2018, Télécom ParisTech) qui l’associent à quatre critères qui vont nous permettre de revenir à l'Innovation Frugale :

  1. « L’anticipation » pour projeter les conséquences de l’innovation,

  2. « La réactivité » afin de s’adapter aux évolutions du contexte (législation, nouveaux besoins…),

  3. « L’inclusion des parties prenantes » pour établir la responsabilité (ou le partage de la responsabilité) mais aussi dans la notion d’inclusion sociale,

  4. « La réflexivité » qui veut questionner le développement même de l’entreprise.

Les 3 premiers critères sont assurément en lien direct avec l’IF quand il s’agit d’aborder une approche systémique dynamique, de mesurer les impacts de ses choix, de s’adapter et de corriger, d’avoir une approche inclusive. Le dernier est pour sa part plus stratégique car lié à la « raison d’être de l’entreprise » et au principe d’entreprise à mission, qui n’est pas présent dans l’IF.



L'Innovation Frugale porte en elle les germes de l'Innovation Responsable, même si cette dernière questionne davantage le sens de l’innovation et notre responsabilité collective et individuelle . Si l'Innovation Responsable était déployée, elle pourrait représenter un réel changement de paradigme !



Déjà, certains comme M.Giget dans Les nouvelles stratégies d’innovation 2018 - 2020 anticipent une innovation au service du progrès humain, pour autant nous n'en sommes probablement pas encore à ce niveau de maturité.


Dans les prochains articles, nous poursuivrons notre exploration en s'intéressant à quelques méthodologies clés.

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